Général Hirschauer
"Historique des 1er et 2ème Régiments d'aérostation d'Observation pendant la campagne 1914-1918"


« Quand fut arrêté pour toute l'armée l'uniforme bleu horizon, on distingua les différentes armes par des écussons de couleur différente; on oublia l'Aéronautique, et quand je fis réparer cet oubli, toutes les couleurs étaient distribuées : le bleu que j'aurais voulu pour les troupes aériennes, était donné à la cavalerie.

Il ne restait plus que l'orange, qui fut attribué à l'aéronautique, écusson noir et chiffres orange pour les aérostiers, écusson orange et chiffres noirs pour les aviateurs ».

   
Max Verneuil "Aérostier, mon Camarade"

C'est le 1er octobre 1915, sur le front de Champagne, à la 10ème compagnie commandée par le capitaine Perrin, que le premier ballon fut incendié, cote 204, à l'est de la route de Somme-Suippes à Perthes.

Le temps est peu propice. C'est une journée maussade; d'épaisses nuées chargent le ciel de flocons livides. Vers 9 h 30, la nacelle du maréchal des logis Schmidt entre dans un nuage. Le ballon de droite descend hâtivement, tandis que du suaire gris parviennent les crépitements de deux rafales de mitrailleuse et le bruit d'un moteur d'avion.
A terre, au treuil, on se consulte, inquiets d'abord, mais d'une inquiétude vague et qui ne peut s'accrocher à une idée plausible et prendre corps. On se rassure en s'accordant à dire que, sans doute, quelque part au delà des nuages, un de nos chasseurs éprouve sa mitrailleuse avant d'atteindre les lignes. Mais l'incertitude est de courte durée.

Le ballon sort du nuage et les hommes à terre voient une fusée diriger sa flèche grésillante vers lui, l'atteindre au dos. Une longue flamme jaune se tord dans des flocons de fumée noire... Le vieux treuil à vapeur, poussé cependant au maximum ne ramène le ballon que très lentement. A 600 mètres d'altitude, ce n'est plus qu'un énorme brasier qui tombe. Mais l'étoffe et les godets d'orientation - les parachutes comme on les appellera par la suite - se sont redressés. Freinée par eux, la vitesse de chute est ralentie.

Debout dans la nacelle, Schmidt se cramponne aux cordages, au-dessus de lui des débris d'étoffe, les cordages en feu et la flamme comme une immense chevelure... Schmidt atterrit sur un tas de paille, brûlé aux mains et au visage, mais miraculeusement sauvé. Schmidt raconta que l'avion allemand était passé à une vingtaine de mètres du ballon. L'observateur était armé d'un pistolet lance-fusées. Le pilote et l'observateur étaient très pâles...
Même aventure pour le lieutenant Beaufeist, qui ne pourra plus jamais monter en ballon
Maurice Arondel
Souvenirs et Anecdotes d'un Observateur


Le 19 septembre 1916, sur la Somme, alors que j'étais observateur au ballon 39, j'eus la bonne fortune de repérer dans la région de Péronne 35 trains et de nombreuses colonnes allemandes sur les routes.

Le renseignement fut aussitôt transmis au commandant de l'armée. Tard dans la soirée, je fus appelé au quartier général de Foch, commandant en chef sur la Somme. Introduit dans une grande salle dont tous les murs étaient garnis des plans directeurs du secteur, je me suis trouvé seul avec Weygand, assis à son bureau dans le fond de la pièce, puis entra Foch.

Inutile de dire que, modeste lieutenant, j'étais dans mes petits souliers. Weygand me demanda de bien préciser ce que j'avais vu. Foch ne dit pas un mot. Il regardait la carte, tenant sa pipe de la main gauche et tapotant sa botte droite de sa cravache.

Tout à coup, il posa sa cravache, s'empare d'un fusain et dit : « Eh bien ! Weygand, j'ai compris. Ils veulent faire cela. Eh bien ! moi, je fais ça, ça et ça » en traçant de violents traits de fusain sur le plan, puis il quitta la pièce, sans dire un mot, sans un remerciement, un compliment. Rien.

Le lendemain, les Allemands déclenchèrent une violente attaque sur Bouchavennes et tombèrent sur un bec magistral. Huit jours après j'étais proposé pour la Légion d'Honneur.
   
Joseph Bédier - "L'Effort Français "

A Verdun, toutes les compagnies savent travailler et chacune travaille plus. Il devint chose courante qu'un observateur, à condition que la discipline des conversations téléphoniques fût bien établie, suivit deux ou même trois réglages de tir à fa fois.

C'est dans le train de tous les jours qu'il faut plutôt se les représenter, quand, encore courbatu par la fatigue de ses précédentes et trop nombreuses ascensions, il remonte en ballon, au matin, et que là-haut, le casque téléphonique en tête, harnaché des courroies du parachute, assis dans le panier d'osier et atténuant des reins le roulis perpétuel, plein de saoulerie du vent et de la lumière, contraint à demeurer presque immobile, soit dans le froid qui l'engourdit, soit sous le soleil qui le brûle,

les mains crispées aux jumelles, durant des heures, il observe au loin l'éphémère, s'attache à retrouver le lieu d'une lueur qui a vécu une seconde, guette avec la patience d'un chasseur à l'affût la petite éruption qui décéléra, si lointaine, l'embrasure d'une pièce ennemie, cherche le pied de la gerbe,

fouille du regard le sol entre les éclatements, compte les secondes entre le départ et l'arrivée des obus, et, le plan directeur étalé sur ses genoux, suppute, mesure, calcule,

puis redescend vers le soir pour rendre compte, pour se mettre en liaison avec les groupes d'artillerie ou le commandement, et pour recevoir d'eux les missions prochaines;

puis vérifie le lendemain et met à jour le répertoire des batteries ennemies et la collection des fiches d'objectifs;

puis, le surlendemain, remonte en ballon et recommence.
   
LT. Perrisin Pirasset
Une Ascension dans les Flandres (Juillet 1917)
   
En quelques minutes je me trouve à 5 kms des lignes, à 1.900 mètres d'altitude, dominant de 500 m. la ligne des ballons belges, français, anglais, jalonnant le front. Une visibilité exceptionnelle et l'absence de vent se sont maintenues toute la journée, cette dernière m'évitant la torture trop fréquente de la nausée.
Un premier appel vient d'un commandant de batterie de 155 long, le vieux de Bange, si précis. Il n'a pu encore faire de réglage sérieux. Voyant le ballon se détacher haut dans le ciel, il a pensé qu'il pouvait être une bouée de sauvetage et s'adresse à lui à tout hasard. Sur l'objectif, une batterie allemande déjà maintes fois observée, trois salves de 4 coups sont tirées. L'altitude, la visibilité permettant une grande précision, le client est content. Le suit un autre également en grand embarras. II se déclare également satisfait après ses 3 salves de 4 coups.
   
Cela se dit et se propage comme une traînée de poudre chez les artilleurs en mal de réglages. C'est bientôt une succession d'appels, puis une ruée vers le ballon et les secrétaires à terre seront obligés d'attribuer des numéros.

Grâce à la bonne volonté et à la discipline acceptée par tous, grâce au calme, au sang-froid, à la méthode, à l'ordre de tous, les réglages s'emboîtent bien et défilent rapidement. Les heures aussi défilent sans que je les voie passer. Pas de répit à l'heure de la soupe. Tout le groupe a pris un tel retard, à ne compter que sur l'avion. Ceux-ci ont fait tout ce qu'ils pouvaient, mais, contrairement à l'aérostier, dont l'observation est permanente, les liaisons directes et continues grâce au téléphone, l'aviateur n'avait à cette époque qu'une radio rudimentaire.
Il est obligé de coder ses messages, de tourner autour de l'objectif, il ne pouvait "recevoir" : ce sont des panneaux à terre qui le renseignent et l'obligent à survoler alternativement l'objectif puis la batterie.
   
L'après-midi, l'activité change, tous les clients du matin me demandent de contrôler leurs tirs de démolition, car les canons s'échauffant, leur portée se modifie légèrement.
C'est plus passionnant que les réglages de tir, la monotonie est rompue.

La nuit monte, le ballon va pouvoir être ramené à terre sans être repéré. Je n'en peux plus. La nacelle au sol, les arrimeurs sont obligés de m'en extraire, je titube pour gagner la voiture touriste qui m'attend. Au mess il n'y a que des chaux froids à manger, il est dix heures du soir et le médecin auxiliaire, popotier, n'a même pas penser à faire préparer une boisson chaude: J'ai fait en tout 17 h 40 de panier.
     
Dégoûté, je gagne la tente des officiers et me jette sur mon lit Picot. Je m'endors aussitôt comme une masse. II parait cependant que je me suis beaucoup agité et que j'ai parlé, continuant dans mon sommeil à régler le tir de batteries.
Pour moi c'est un magnifique souvenir et la fierté que mon unité, le B. 49, a battu trois records :
    1°) l'altitude en ballon captif militaire avec 1.990 m.
    2°) la durée continue d'ascension officielle de 17 h.
    3°) la somme des travaux au service de l'artillerie faits en une journée sur le front.
 
 
Joseph Branche - Ballons d'Observation 14-18

Si le temps était beau et le secteur en activité, nous pouvions parler sans interruption dans notre micro depuis le matin jusqu'au soir. Cela n'empêchait pas les poilus de se demander à quoi pouvait bien employer son temps l'observateur qui restait en l'air pendant 10 à 15 heures consécutives, sans demander à descendre, que le temps soit beau ou le vent glacial.

Les seules distractions qui semblaient lui être accordées étaient la visite d'un aviateur ennemi en mal de faire un carton avec ses balles incendiaires. Un autre jour, le ciel se parsemait d'éclatements d'un canon de gros calibre. Un 240 fusant à 100 mètres provoquait un tel déplacement d'air que l'on avait dans la nacelle l'impression que le ballon éclatait.

Des morceaux de l'obus allaient parfois tomber à 1000 mètres. Une attaque de ce genre était, était un insupportable jeu du chat et de la souris, l'observateur devant guetter le départ du coup de canon pour donner au treuil l'ordre de se déplacer, pendant que l'obus se rapprochait du ballon. Une quarantaine de secondes plus tard, l'obus arrivait, mais le ballon s'était déplacé de 100 ou 150 mètres. C'était alors à l'observateur à régler un tir pour faire taire l'adversaire.
Récit d’un lieutenant d’artillerie
après sa première ascension en « saucisse »


Le commandement « lachez-tout ! » est donné et me voila lancé dans les airs.

Ma nacelle est un charmant petit boudoir : on peut y faire jusqu’à deux pas, à condition de les faire petits. Tout ce que peut souhaiter un observateur y est rassemblé : on a sous la main – littéralement – trois jumelles, des cartes, un téléphone qui communique avec la terre et peut relier l’observateur avec n’importe quel poste d’artillerie ou de commandement.

A mes pieds, mes compagnons, le nez en l’air : ils rapetissent à vue d’oeil. L’horizon limité par les arbres et les collines proches s’éloigne peu à peu ; le paysage s’étend, perd son relief ; le tableau se change en carte de géographie, mais vivante, brillante de couleurs ou tout chante et respire ( …).

Vers l’est, à quelques kilomètres, ce fouillis de zigzags blancs, ce sont les tranchées. Elles se croisent et s’enchevêtrent. Seulement, au milieu de cette large roue marbrée, un mince ruban vert est resté presque intact : c'est l'intervalle entre nos tranchées de première ligne et celles de l'ennemi.

De part et d'autre quelques villages lamentables, aux maisons écroulées, note de désolation qui serre le coeur. De la nacelle on les aperçoit avec une netteté parfaite : c’est l’observatoire idéal de l’artillerie.

Il est vrai que, de la nacelle, on ne peut surplomber les positions ennemies comme on le fait de l'avion, mais ce que n'offre pas l'avion, c'est la stabilité de la nacelle, qui permet de regarder sans difficulté à la jumelle ; enfin, avantage énorme, l'observateur en ballon peut communiquer constamment avec les batteries, ce qui permet des réglages souvent aussi précis, et toujours plus rapides qu'avec l'avion.