Les préparatifs d’une ascension

Lorsqu’une compagnie arrive dans un nouveau secteur, le capitaine souvent accompagné des observateurs, se rend auprès des commandants d’artillerie ou d’aviation pour prendre contact, s’enquérir des besoins du secteur, des batteries ennemies, des habitudes et de l’activité de l’adversaire en matière d’artillerie ou d’aviation. D’autre part, un officier, muni d’une carte détaillée, parcourt la région à cheval pour chercher un endroit où camper le ballon.
 
Choix des plus délicats. Le plus souvent, l’endroit choisi est une forêt dans laquelle on abat tous les arbres qu’il faut sacrifier non seulement pour faire un nid au ballon, mais encore aménagée une clairière assez vaste pour permettre les manoeuvres d’ascension et d’atterrissage sans que le vent risque de rabattre l’enveloppe sur les branchages.

Les travaux terminés, il ne reste plus qu’à étaler une grande bâche, enfoncer autour dix piquets pour attacher le ballon et répartir 80 sacs de lest de 10 Kg, munis de crochets pour les fixer à la corderie.

Sur cette bâche on sort l’enveloppe du ballon de son sac.
 
Elle est dépliée pour y fixer la soupape et vérifier la corderie. Puis on place la manche de gonflement en étoffe caoutchoutée bien étanche. Tout cela ne demande guère plus d’une demi-heure. Le ballon est alors prêt à être gonflé.
 
L’hydrogène est amené sur place soit dans des « voitures-tubes » contenant chacune 150 mètres cubes de gaz, soit dans des tubes séparé. Dans ce cas il en faut alors 130 à 140 pour gonfler le ballon et l’opération demande deux à trois heures, tandis qu’avec les « voitures-tubes » il suffit d’une demi-heure, les manipulations étant simplifiées. Le gonflement est terminé.
   
La saucisse est maintenant prête à ascensionner.
Si les circonstances atmosphériques le permettent – temps clair, vent modéré – l’arrimage a lieu aussitôt et un quart d’heure après la fin du gonflement, le ballon sera en l’air, pour ne redescendre qu’à la nuit tombante. Dès le lendemain, la vie régulière commence.
Levée avant le jour, la compagnie après avoir pris « le jus » quitte le cantonnement pour se rendre au ballon.
 
Batterie de tubes à hydrogène comprimé
On détache le ballon de ses piquets, on accroche les sacs de lest un peu plus bas pour que les arrimeurs puissent se glisser en dessous et fixer la manche qui va servir à le renflouer, c’est-à-dire à remplacer par du gaz neuf, le gaz qui a été perdu au cours de l’ascension précédente, par suite de la dilatation due à l’altitude.
     
Quand les circonstances l’exigent le ballon reste en l’air toute la journée avec l’observateur qui a emporté son repas dans la nacelle. A la nuit tombante, ou si le temps devient trop mauvais, le ballon est descendu, désarrimé et campé pour la nuit, sous la surveillance de sentinelles. Cette existence, assez régulière, sera menée jusqu’au jour où la compagnie recevra un ordre de départ pour une nouvelle destination. En trois ou quatre heures maximum, le convoi sera en route, le ballon ayant été dégonflé en vingt-cinq minutes, plié, mis dans son sac et tout le matériel rangé dans les camions et fourgons.
     
Le travail des observateurs

Le front qui s'étend des Vosges à la Mer du Nord restait pendant des mois entiers sans autres changements que la prise et la reprise de terrains de quelques centaines - voire quelques dizaines - de mètres. C’était alors la guerre de positions, la guerre des tranchées.
 
Pour renseigner les états-majors sur les mouvements apparents de l'adversaire à l'intérieur de ses lignes : convois, relèves, repérage des batteries d'artillerie, pour toutes ces missions, les qualités des ballons d'observation, les fameuses "Saucisses" - s'imposèrent.

Pourtant, le travail des observateurs reste inconnu de la généralité des hommes au front. Leurs principaux "clients" sont les artilleurs, particulièrement ceux de l'artillerie lourde et les Services de Renseignements de l'Armée. Pour les premiers, ils effectuent leurs réglages de tir ou les contrôles de destruction, pour les seconds, il peut être question d'une demande de renseignements ou de surveillance sur l'activité d’un secteur de front.

Parfois, ils doivent compter le nombre de trains arrivant dans telle gare comme indice de préparation d'une offensive. L'efficacité de l'observation en ballon captif dépend du matériel (ballon et treuil de manoeuvre), mais aussi des plans, documents et instruments de travail de l'observateur.

Ainsi, l'observateur doit disposer dans sa nacelle d'un plan aussi exact et complet que possible et comportant des coordonnées permettant de définir et de signaler avec précision la position des objectifs ainsi que des photos aériennes prises par l'aviation

L’observateur se sert des détails tels qu'arbres isolés, boqueteaux, talus, chemins de terre, pour les compléter. Son travail consiste à la découverte ou le repérage des objectifs, le repérage des batteries ennemies et le réglage des tirs.

46éme compagnie aérostier, été 1917. l'observateur Jacquemin est ramené au sol après une journée d'observation
Le campement d'un ballon doit toujours être situé hors de la vue de l'ennemi, soit dans la clairière d'un bois, soit à flanc de coteau, ou mieux encore, dans un ravin dont la crête peut faire obstacle à l'arrivée des obus tirés pendant l'arrimage de la nacelle au ballon, où à l'atterrissage, lorsque toute la compagnie se trouve rassemblée près du treuil.
   
Chercher la direction du vent est indispensable avant le largage du ballon afin de l’orienter le nez en avant. Cette précaution impérative doit permettre à l'air de s'engouffrer dans l'entonnoir de toile fixé à l'avant, avant de pénétrer dans le ballonnet intérieur et les ailerons d'orientation.
   
Ceux-ci, une fois gonflés, deviennent presque rigides et donnent au ballon la stabilité indispensable à une bonne observation. En règle générale, les ballons captifs sont en service sur le front sans discontinuer.

Ils sont placés en position d'observation dès le lever du jour et restent en ascension jusqu'au coucher du soleil.

Au préalable, la compagnie doit quitter son cantonnement, équiper le ballon, l'accrocher au treuil automobile.
   
Le treuil automobile doit être susceptible d'assurer rapidement la mise en altitude du ballon ou son repli au sol, ainsi que les déplacements nécessaires pour le rapprocher ou l'éloigner de la ligne de feu.

Photo ci-dessus : un spécialiste attache la corde du parachute à un mousqueton cousu à la sangle, derrière la tête de l'observateur. Celui-ci fixe son microphone sur sa poitrine. Le sergent arrimeur est attentif à ces opérations. un officier surveille tous ces préparatifs d'ascension.
     
L'observateur prend place dans la nacelle avec ses documents et peut rester en observation pendant 17 heures. Contrairement aux principes adoptés par les Allemands, qui ramènent leurs ballons à terre plusieurs fois dans la journée pour changer d'observateur.
Altitude d'observation
: généralement de 800 à 1.000 mètres suivant l'inclinaison du câble, tributaire de la force du vent.
     
Les Missions

28 août 1914, première ascension du captif de Maubeuge. Le lendemain, des batteries ennemies qui avaient pris position dans le ravin de la Trouille sont signalées. Ce jour-là, le ballon reçoit le baptême du feu. Un violent bombardement est dirigé contre son hangar. Un obus cause la destruction de deux ballons de rechange de 500 mètres cubes et le ballon captif est dans un tel état que les manoeuvres ne seront pas poursuivies.
 
C’est aussi le 28 août, que le capitaine Saconney commence ses ascensions sur le front de Lorraine (Mortagne). La guerre de tranchée succède à la guerre de mouvement.

La 30ème compagnie de Saconney quitte le front de l’est pour aller opérer jusqu’à la mer du Nord. Du 27 septembre au 10 février, elle réalise 172 heures d’ascension, dont 114 avec des ballons sphériques et 48 avec des cerfs-volants, effectuant 80 repérages de batteries et 67 réglages de tirs.

Dès 1915 que les avions commencent à attaquer les ballons à la mitrailleuse. Mai 1915, sur les 21 compagnies qui manoeuvrent sur le front, 6 sont groupées d'Arras à Souchez, sous les ordres du chef de bataillon Saconney. C'est la première bataille dans laquelle des ballons sont engagés en groupe, c’est la première expérience en vraie grandeur.

Elle fut décisive : Tourtay repère deux régiments remontant en ligne, fait détruire des convois, Arondel signale le débarquement d'un corps d'armée inattendu, ce qui prévient et ruine une forte contre-attaque. Les ascensions durent de douze à quatorze heures ! Sur quarante-deux jours, l'enseigne de vaisseau Regnard ascensionne trente-huit fois et totalise quatre cent quarante-neuf heures de nacelle, dont une ascension de seize heures vingt !
   
25 septembre 1915, lors de l’offensive en Champagne, 19 ballons sont engagés. Un officier aérostier est, pour la première fois, adjoint au commandant de l'aéronautique de chaque armée.

Un temps splendide favorise la préparation d'artillerie. Du 21 au 26 septembre, la 24ème compagnie règle ou contrôle 112 tirs et repère 76 batteries ennemies. Du 1er au 30 septembre, la 34ème compagnie exécute 103 réglages ou contrôles de tirs et repère 94 batteries.

A Verdun, une lutte d'artillerie s'engage sans merci, avec pilonnage des positions adverses. Dans ce duel au canon, les ballonniers deviennent d'autant plus précieux que les circonstances du combat ne permettent guère l'observation terrestre.

Le 24 février 1916, les ballons 47 et 48 sont ramenés à 7 heures du soir seulement. Les lignes allemandes sont à moins de 3 kilomètres du treuil. Du 30 mars au 29 avril, le ballon 34 signale 259 batteries ennemies en action et effectue 260 réglages ou contrôles de tir.
 
Treuil Caquot sur châssis Latil 4 roues motrices et 2 moteurs
Pendant la bataille de la Somme, Brillaud de Laujardière, du ballon 39, fait détruire cinq " drachens " ennemis au campement.

Arondel, du même ballon, signale un jour 35 trains en circulation sur les voies ferrées au nord de Péronne.

Les treuils sont placés tous les 700 ou 800 mètres. Les ballons d'observation sont si près les uns des autres qu'il est possible, en criant assez fort, de s'interpeller de nacelle à nacelle.
   
Il y a aussi plusieurs embrassades de ballons. En l'air, ils se frôlent, enroulant leurs câbles, mélangeant leurs godets d'orientation, la catastrophe est frôlée à chaque fois.

Dans un rapport sur la bataille de la Somme, un général allemand, F. von Belok, rapporte :
 
« L'effet des innombrables ballons qui se suspendaient sur les lignes françaises comme des grappes de raisin fut déprimant, car tout homme isolé, toute mitrailleuse isolée se croyaient reconnus, observés, soumis à un tir parfaitement réglé. »
Mais durant cette affrontement, Français et Allemands, ont un ennemi commun : la boue, qui oblige à camper les ballons sur des claies et à monter des treuils sur des échafaudages.
 
La tempête meurtrière du 5 mai 1916

La lutte est ardente entre les armées adverses sur le front de Verdun. Tous les ballons sont alertés. Au début de l'après-midi le temps devient lourd, orageux et menaçant et cela augmente de minute en minute. Tout à coup une bourrasque s’abat brusquement. Elle se déchaîne avec une telle rapidité que, malgré la diligence des manoeuvres, les treuils ne peuvent ramener complètement au sol les ballons en ascension.
Le vent souffle de 70 à 80 Km/heure. Des Vosges jusqu’à Verdun, la tempête fait des ravages en causant la perte de vingt-quatre ballons, dont vingt et un sont emportés en territoire allemand.

Dans la plupart des cas le câble cède malgré sa solidité. Vingt-huit observateurs sont victimes de ce vent violent. Quatre nacelles ont en effet deux observateurs. Tous prennent le temps de détruire leurs documents avant de s’occuper d’eux-mêmes. Sept restent dans les nacelles, soit pas manque de parachute, soit qu’ils n’ont pas le temps de s’en servir.
   
Ils sont emportés dans les lignes ennemies. Dix-huit aérostiers sautent en parachute. Onze d’entre eux atterrissent presque normalement, deux sont grièvement blessés et cinq trouvent la mort lors de cette journée tragique.
 
Au début d'avril 1917, l’observation en ballon prime sur l'observation en avion pour le travail d'artillerie, à cause des conditions météo. C'est ainsi qu'à la V° armée, les ballons signalent 1.059 batteries en action, les avions 315 seulement et dirigent 405 tirs de destruction contre 109 pour les avions.
 

Deux mille six cent dix observations de tir sont faites par les six ballons des Flandres entre le 15 juillet et le 31 octobre 1917.

En trois mois et demi, la 37ème compagnie ascensionne 497 heures, règle 483 tirs et repère 231 batteries. Pendant toute cette fin d'année 1917, les attaques d'avion à balles incendiaires sont incessantes.

Le 15 juillet, le groupe d'armées du Kronprinz impérial s'élance dans la direction de Reims. Mais les observations des aviateurs et des ballonniers, l'étude des photographies aériennes ont prévenu le commandement français et l'attaque allemande s'effondre à l'intérieur de notre première position.

L'année 1917 s'achève sur une impression de force chez les Alliés et d'usure chez leurs adversaires.

Du 15 au 31 juillet 1918, les ballons de la VI° armée repèrent 280 batteries et poursuivent 169 réglages, contrôles ou tirs de démolition, alors que l’aviation n'opère que 137 batteries et n'effectue que 40 opérations de tir. Toute l'armée sent que les dernières batailles sont enfin venues.

Alors, plus que jamais, Il faut voir, voir, voir...

 
 
Le ballon captif se montre aussi apte aux grandes traversées. De nombreux voyages, tels Gibraltar-Toulon, Toulon-Bizerte, Toulon-Corfou, Bizerte-Corfou sont effectués avec un ballon remorqué. L’un deux affronte même l’Océan. En juillet 1918, le patrouilleur « Asie » escorte un convoi de voiliers en route pour Terre-Neuve jusqu’aux Açores, muni d’un ballon. Il accomplit sa mission avec succès, réalisant vingt-cinq jours de remorquage de son ballon.
 
Préparation d'un ballon - photo aérienne, (Crédit vidéo ECPAD que nous remercions)